La fenêtre
On était tous enfants.. On savait vivre, tous, quand on
était enfants. Bien que l’enfance tunisienne pourrait être.. parmi les plus
moroses, les plus démunies.. Ces premières années dans ce monde demeurent
l’époque la plus nostalgique de notre vécu.
Je me souviens de la mienne ; les silhouettes
kaléidoscopiques défilées par les nuages que j’admirais depuis ma fenêtre,
chaque silhouette avait une histoire.. Ces histoires, qui étaient une issue,
lorsque le monde semblait trop cruel.
Les petits plaisirs suffisaient pour faire notre bonheur.. Les
contes dévorés sous la couette. J’aimais bien lire les miens dans le noir, me
contentant seulement des reflets et des lueurs se faufilant par les persiennes
de ma fenêtre, cela rendait toute phrase, toute image, tellement lucide et
magique au même temps, tout devenait plus poétique. J’étais consciente des
dommages que cela causait à mes pauvres rétines mais ce n’était pas assez
convaincant pour mettre fin à cette addiction étrange.. Se soucier de sa santé,
c’était pour les grands, ainsi pensais-je, quand j’étais une petite fille de
huit ans.
A partir de la même unique fenêtre, j’observais les enfants
des voisins, se réunir dans le jardin mal entretenu de la résidence, où ils
jouaient des rôles, ramassaient des pierres et des tiges, se disputaient et
rigolaient. Il m’arrivait de passer une dizaine de minutes, à les regarder
ainsi, silencieusement, pour retourner à mes jouets après, reproduire la scène
que je venais de contempler. Je n’avais pas le droit de les rejoindre. J’étais
privée de ces aventures jubilatoires, de ces jeux de rôle. On craignait que j’apprenne
« de mauvaises manières », il fallait être une petite fille modèle,
timide, rangée et réservée. S’exprimer à haute voix, jouer avec ces enfants au
plein cœur de l’innocence, aurait été trop « vulgaire » pour une
petite fille, de « bonne » famille de la classe moyenne.
Aujourd’hui, la fenêtre a changé, le paysage aussi. Tout
bouge, tout crie. Les enfants d’autrefois ont grandi, et ne jouent plus
ensemble, ne se parlent plus. Moi aussi, j’ai grandi. Je ne suis plus derrière
la fenêtre de ma chambre de petite fille. Je sors dehors, je plonge dans cette
horde de gens, je la découvre. A la fois, elle m’intéresse et je la fuis, pour
venir ici, verser ce vomi d’émotions, parfois contradictoires, parfois
radicales, parfois douceâtres.
Aujourd’hui, je suis derrière une autre fenêtre, mais cette
fois-ci, personne ne me pousse à y rester. Cette fois-ci, la fenêtre est un
moyen de survie. On n’observe jamais assez bien que derrière une fenêtre, bien
haute et éloignée,… isolée.
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